My colorful life


Pierre Keller
18.05.2018 – 17.06.2018

À partir des années 1960, l’avant-garde américaine propose une contestation des codes artistiques établis en prônant un décloisonnement radical entre l’art et la vie, et en s’ouvrant à la banalité du quotidien. Dans le dessein d’opérer cette rupture, plusieurs artistes ont entrepris de dévoiler leurs travaux sous forme de journal autobiographique, en prônant davantage la consignation de l’instant que la représentation, notamment le poète Allen Ginsberg (1926-1997) le réalisateur Jonas Mekas (1922) puis les photographes Robert Frank (1924), Nan Goldin (1953), Nobuyoshi Araki (1940) et Pierre Keller (1945).

Dès 1971, Pierre Keller voyage outre-Atlantique grâce à une bourse du Conseil des Arts du Canada. S’il est de prime abord intéressé par l’art conceptuel et minimaliste, ses rencontres Etats-Uniennes lui laisseront des inspirations évidentes pour la suite de sa carrière artistique, orientée dans le domaine de la photographie. A New-York, Keller rencontre entre Andy Wahrol (1928-1987) et Keith Haring (1958-1990), les photographes Robert Mapplethorpe (1946-1989), Larry Clark (1943) et Nan Goldin. Avec eux, il partage la conviction selon laquelle « la sexualité est fondatrice, à l’origine de l’image photographique ».

En 1975, Pierre Keller découvre les possibilités du polaroïd qui le fascinent et réalise sa première photographie à la Biennale des jeunes de Paris où il expose. Cet artiste passionné n’a jamais été intéressé par la technique photographique et ne se considère pas professionnel. Il préfère ainsi le polaroïd, ce dispositif instantané qui lui permet de capturer l’instant. Il en parle très simplement lorsqu’il mentionne que « ce qui l’intéresse, c’est l’image, et ce qui en sort. »

En tout, 5000 clichés sont réalisés par Pierre Keller au cours de ses pérégrinations à travers le monde, entre 1975 et 1988. Parmi ceux-ci, 400 photographies dévoilent les expériences de Pierre Keller, publiées sous le titre My Colorful Life, clin d’œil à sa vie qu’il qualifie comme étant « de couleurs et de plaisir, une vie de vagabond et de sexe ». En effet, comme ses pairs, Keller travaillait davantage dans la rue, dans des milieux interlopes comme sur les docks mais aussi dans les milieux gays new-yorkais et plus communément chez lui, sur la Riviera. Ces clichés, non-datés et sans légende, réunissent et éclairent la vie d’un hédoniste confirmé, d’un jouisseur affamé, puisqu’ils illustrent bien que le sexe est pour Pierre Keller ce que l’image est à la photographie, un monde de l’instant présent merveilleux, désiré, poétique et artistique. Pour l’artiste, « si ces photographies peuvent choquer, elles révèlent surtout ma sensibilité ma vérité, sans trucages. C’est ma vie, il n’y a rien de caché, je ne mens pas ». En ce sens, il se rapproche du travail de Nan Goldin (La ballade de la dépendance sexuelle1986), les deux artistes laissant à la postérité une mise à nu de leur vie.

Plus particulièrement à Quartier Général, l’artiste a choisi de montrer la série Horses, (1988, Cluny) et Flor de Cuba (2017, Cuba). Si l’histoire de l’art a démontré que l’animal le plus représenté était le cheval, Pierre Keller s’en est emparé d’une manière sans équivoque. A la manière de Géricault (Cinq chevaux vus par la croupe vers 1820-1822 et Etudes des croupes de chevaux, 1810) et tel un anatomiste, Keller photographie au Polaroïd les croupes : en gros plan, comme une majeure partie de son travail, il nous fait découvrir l’épiderme des culs équins, avec leur pelage doux, leurs testicules et leurs veines gonflées. Parfois abstraites, ces croupes s’imposent directement aux voyeurs comme symbole de la masculinité et du désir ardent.

Avec la série Flor de Cuba, Pierre Keller devient amateur de l’Ikebana, l’art traditionnel japonais de l’arrangement floral. Dans cet art, la fleur y est considérée comme un modèle de développement de l’art spontané, sans artifice et cependant parfait, mais aussi de cycle vital et de son caractère éphémère. Il mêle ici des éléments du règne animal et végétal (des tournesols en plastique !), ces derniers ayant la signification en Chine, en opposition à l’art japonais, de l’immortalité. Keller cite volontiers Van Gogh en disant de ses bouquets « C’est du Van Gogh en plastique avec une immense queue dedans, c’est fabuleux ! La queue est vraie pour sa part ! » Quant à la verge qu’il adule, comme le cheval, il est liée symboliquement à la virilité comme à la fécondité. Dès lors, nous pouvons comprendre que ces photographies témoignent volontiers d’une affection profonde pour la vie, et de manière plus illustrée, pour le sexe ! Le téléphone portable l’ayant emporté sur son appareil SX-70, c’est maintenant grâce à son smartphone que Pierre Keller réalise ses photographies.